Adriel, c’est le genre de garçon qu’on ne remarque pas forcément, parce qu’il traîne, mains dans les poches, air nonchalant plaqué sur le visage, incapable de faire quoique ce soit de concret. Fou, il l’est, réputé parmi sa bande de potes comme le plus fou de tous, exubérant à souhait mais quand ça approche d’un peu trop près des histoires de filles… Des histoires de maturité, c’est une toute autre histoire.

« Hey… » « Salut. » La petite rousse joviale et souriante, pour sûr, il l’avait remarquée. Et depuis bien longtemps déjà, alors qu’elle traînait avec d’autres gens, qu’elle côtoyait d’autres garçons : comment ne pas la voir, défiler parmi tant d’autres si communes, au milieu des couloirs misérables de leur misérable lycée ? Il n’y avait longtemps eu qu’Ava, pour ce qui était d’attirer son attention, et puis leurs chemins se sont séparés. Parce qu’il restait trop longtemps la langue pendue à la regarder, parce qu’il se perdait dans des rêveries qui ne s’accompliraient jamais, ou parce qu’elle ne le remarquait même pas, et que tout n’était qu’une perte de temps. Comment fait-il pour ne pas la détester pour tout le dédain qu’elle a eu à reconnaître même son existence alors qu’ils pourraient se connaître depuis le jardin d’enfant ? Difficile d’imaginer ça, mais il fallait avouer que les choses avaient pas mal changé. Une rencontre dans le couloir, parmi tant d’autres, comme leurs retrouvailles, ou du moins, celles où il l’a reconnue et où elle a mis une bonne dizaine de minutes à mettre un nom sur son visage et son humour un peu lourd. Voisins qu’ils sont aujourd’hui, dans un immeuble pour le moins miteux, c’était difficile d’imaginer la demoiselle dans un endroit pareil. Son regard se fit fuyant, tandis qu’Adriel cherchait quoi dire : elle ne doutait pas qu’il ait entendu son énième dispute avec ses parents la veille au soir, et c’était ce qui la rendait si distante, malgré tous ces moments qu’il avait déjà passé à la consoler, dans ces grands moments de désespoir. « Tu vas bien ? » Pour toute réponse, elle haussa les épaules, mine contrite, regard absent. De sa voix tendue, presque coupée, elle prit difficilement la parole. « Tu sais… les mêmes vieux problèmes. » Un rire nerveux, auquel il eut un sourire incontrôlable, comme tous ceux qu’il avait toujours eus en l’entendant rire, même si c’était avec une pointe de tristesse. « Je vois… » C’était plus difficile qu’il ne l’avait imaginé, lui parler, essayer en tout cas. Elle passa une main nerveuse dans ses cheveux, toujours aussi absente. « Tes parents… ils comprendront, un jour. » Elle ne semblait pas y croire, sans doute parce qu’elle n’avait pas encore remarqué autant que lui à quel point elle avait changé, mûri. Cette fille là, dans ce couloir en face de lui ne se serait jamais faite engrosser par un crétin, l’Ava un peu trop bêcheuse, l’Ava qui avait ignoré son existence pendant si longtemps s’effaçait peu à peu, pour quelque chose de beaucoup plus… accompli. Beaucoup plus beau. « Je sais pas. » Dans la solitude palpable de la jeune femme, il était sans doute la seul qui l’écoutait, mais elle ne semblait pas disposée à parler, maintenant. « Tu sais… je dois aller, faire un truc. Mais ce soir, tu viens chez moi, tu verras, je fais des supers pizzas, pas besoin de commander avec moi. » Il avait repris son ton railleur, voir un poil beau parleur et à son plus grand plaisir, il réussit à arracher un rire à la demoiselle. Ainsi qu’un regard… profond, intense. Perdu. Avant qu’elle ne hoche la tête. « Je te prends au mot. »