« Ty. Je peux savoir pourquoi tu rentres à cette heure ? » « Alx, pas Tyler. » Je l’esquivais après avoir soigneusement fermé la porte. Camryn, ma mère, gardait les bras croisés et me laissait passer. Je montais les marches quatre à quatre, mon sac de sport à la main tout en faisant en sorte que ce dernier ne donne aucune impression sur son contenu. J’allumais la lumière, fermais la porte, vérifiais que malgré son côté capricieux elle était bien close, puis je jetais mon sac à côté de mon lit dans un bruit de bouteilles vides et m’affalais sur mes couvertures, la tête la première dans mes oreillers. Cette journée avait été l’une des plus grosses de la semaine. Nous étions samedi et j’avais quitté mon lit aux alentours des cinq heures du matin. L’idée de faire un footing en solo m’avait paru être une excellente idée pour m’échauffer. J’avais ensuite eu rendez-vous à la piscine de la ville pour cumuler mes acquis concernant la compétition du mois prochain et au final, j’avais terminé ma journée chez Daren, un pote du lycée… Cette soirée s’était d’ailleurs très mal terminée. Alors que je découvrais de mes mains la douceur des cuisses de cette fille -dont j’avais déjà oublié le nom- assise sur le plan de travail de la cuisine de mon camarade d’établissement, la porte de la maison se ferma violemment, arrêtant net la musique, les cris de joie et nos respirations. La fille arrêtait de m’embrasser, j’ouvrais les yeux, plongeant mon regard assassin dans le sien, l’air de dire « tu t’es crue chez mémé ou quoi ? Pourquoi tu t’arrêtes ? » Je me retournais doucement et voyais les parents de Daren sur le paillasson. Plus personne ne bougeait jusqu’à ce que le père se décide à faire un pas en avant, puis à regagner son fils à l’autre bout de la pièce. Il se fit alors mitrailler, les gens du lycée en profitaient pour prendre leurs jambes à leur coup sous le regard sidéré de la maîtresse de maison. Je quittais ma proie sans même lui lancer un dernier regard et à pas de loup, j’empoignais mon sac de sport non loin de la guerre père-fils et je quittais le reste de l’assemblée aussi vite que possible. C’est en prenant l’air glacial de plein fouet que je me rendais compte de mon taux d’alcoolémie. La rue m’apparaissait comme une cuvette et non pas comme une ligne droite, l’adrénaline semblait naturelle dans mes veines et je me sentais aussi capable d’aller faire n’importe quoi jusqu’à l’aube. La moitié de ma raison l’emportait et têtu comme j’étais avec moi-même, je me décidais à prendre le volant. Ce fut avec grande peine que mes sens se mirent totalement en éveil pendant vingt secondes de ma vie au moment où je suis rentré chez moi, que j’ai refermé la porte en me retournant à demi sans tituber, que ma mère n’a pas surpris mon haleine de trappeur scandinave et que en montant les marches aussi vite que je le fis, aucune bouteille ne s’entrechoqua au point de faire du bruit dans mon sac prévu pour tout, sauf pour un travers dans la loi contre la prohibition. Un léger travers. C’était ce que je pensais, jusqu’à ce que ma mère ouvre ma porte de chambre et se dirige vers mon sac. Elle s’en saisit et l’ouvrit sur mon lit. « Tyler ! Peux-tu, fils, m’expliquer quelles sont ces horreurs ?! » Elle en sortit un cadavre de vodka d’épicerie. Ces bouteilles n’étaient pas sensées échouer dans mon sac de sport, néanmoins les gens ivres l’ont pris pour la poubelle du village et moi je n’ai absolument rien calculé en sortant en trombe de chez Daren jusqu’à ce que je mette le sac sur la plage arrière de ma voiture. Elle me regarda, indignée, avec cette expression qui m’avait toujours donné l’impression qu’elle l’avait apprise en imitant les grimaces faites à la télé par des acteurs. Enfaite, mes sens n’étaient qu’une bande de sales putains de traîtres. Ils m’avaient bien laissé tomber au moment fatidique. Camryn me demanda de me lever. Avec peine je posais mes pieds à terre tout en faisant un léger rond de jambe. Nouvelle erreur. Elle se posta sous mon menton, m’ouvrit la bouche et s’écarta avec cette autre mine écœurée qui me donnait des envies de claques. « Tyler ! Tu sens l’alcool ! Tu ne marches pas droit ! Qu’as-tu fais ?! » « ALEX, CAMRYN ! JE M’APPELLE A-LEX-AN-DER !! Est-ce trop dur de vous le rentrer dans la tête ?! » « Les quinze prochains jours de ta vie se résumeront à métro-boulot-dodo, TYLER-ALEXANDER SCOTT. » Elle avait gardé sa mine grave tout en marchant lentement à reculons vers la porte, elle acheva sa phrase la main sur la poignée et ferma l’ensemble dans un claquement brutal. J’avais donc seize ans et ma dite mère me punissait comme si je n’étais qu’un vulgaire enfant qu’elle se décidait enfin à élever. Je n’avais décidément pas dit mon dernier mot.


« Monsieur Tyler Scott est attendu dans le bureau du principal adjoint. » L’annonce se répéta dans les couloirs du lycée. Un ami me tapait amicalement sur l’épaule, comme s’il me souhaitait courage. « Alexander Scott, nom de dieu ! C’est quand même pas bien compliqué ! » Dis-je en levant les yeux au plafond comme pour répondre au haut-parleur. Une femme griffonnant de droite à gauche ne levait même pas la tête dans le but de savoir qui pénétrait dans son bureau. « Ty… » « …Alex. » « Peu importe, asseyez-vous. » J’allais donc faire des pieds et des mains toute ma vie pour que les gens cessent de m’appeler Tyler ?! Cette idée absolument niaise que mon père avait eu à ma naissance ! « Auriez-vous éventuellement connaissance de la raison pour laquelle vous êtes assis ici aujourd’hui ? » « Non, mais mon petit doigt me dit que vous allez être bavarde à ce sujet. » Elle eut un battement de cils en direction de ses feuilles et un léger sourire accompagnait le tout, elle essayait de rester sérieuse. « Vos résultats sont excellents, votre rigueur également en ce qui concerne la natation. Les championnats inter-lycées récent l’on prouvé. L’Etat de l’Arizona a donc décidé que vous bénéficierez d’une bourse scolaire. » « Je… Vous remercie pour les éloges, je suis conscient de tout cela, mais avez-vous seulement connaissance du revenu familial ? » Elle me regardait attentivement, ne sachant quoi répondre à ma question, je poursuivais donc. « Mon père dirige le musée de Paléontologie de Phoenix et ma mère est chimiste dans un laboratoire on ne peut plus high-tech de la ville, ils sont extrêmement fortunés, passent leur vie dans leurs bureaux respectifs et ont facilement de quoi payer une maison à trois étages dans le centre. » Je me levais, repoussant la chaise contre laquelle je m’étais assis. « Faites les démarches nécessaires pour qu’un élève dans le besoin en bénéficie. » Elle allait répondre, mais je m’en allais sans me retourner. Je n’en n’avais que faire de son aide, de l’aide de l’Etat, de mes parents, des autres. Je n’avais besoin de rien ni de personne pour m’aider.
J’avais beau être bon partout, toutes les matières qui nous étaient enseigné au lycée me répugnaient pour la plupart. J’avais un goût prononcé pour les matières littéraires et bien entendu pour l’éducation physique à laquelle je me donnais régulièrement histoire de taire la bombe à retardement qui sommeillait en moi. Fatigué, j’étais plus compréhensif…enfin, selon moi. Beaucoup de domaines me plaisaient, je ne savais pas vraiment où donner de la tête pour mes années futures. Quelle université ? Scientifique ? Littéraire ? La physique ou les lettres ? Et puis je me suis dit que nous ne vivons qu’une fois, alors je me suis engagé en parapsychologie au plus grand étonnement de Camryn. « Le paranormal ? Mais tu es complètement tordu, mon fils ! Tu aurais pu devenir un brillant ingénieur, un avocat ou même un juge ! » Et le pire, je crois que c’était de leur annoncer quelques temps plus tard, lorsque mes études étaient enfin en train de prendre une belle allure, que j’allais m’engager dans une formation de sauveteur plongeur. « Toi ? Sauver des gens ? Apprends déjà à te sauver toi-même, mon garçon. » L’une des dernière fois où j’ai pu croiser mon père dans sa demeure...
Et puis, il y avait…elle. L’une des seules filles du lycée où chaque mec s’arrêtait de penser, de parler, de rire à son passage quotidien dans les couloirs. Je ne sais pas combien ils étaient à se battre pour elle, Ava-Layne Winters. La petite blonde tirant vers l’écureuil. La fille au corps de rêve et aux lèvres pulpeuses. Assis sur un banc, comme nous avions l’habitude de le faire pendant nos pauses, deux sur trois regardaient chaque fille passer et au passage d’Ava, je me souviens des « On ne peut pas faire plus jolie, c’est impossible » et je me souviens aussi d’avoir répondu inconsciemment une fois « Elle est bonne, ouais. », ayant ensuite eut le droit à un sourire de la charmante demoiselle, je me détournais pour replancher sur un devoir de physique noté et à rendre à l’heure qui allait suivre. Peut-être qu’un jour, j’aurais l’occasion de me la serrer, à une soirée ? Un bal de promo ? A la piscine ? Continuant de griffonner, un sourire amusé se dessinait sur mes lèvres. « Tu prépares un sale coup, Alx ? » « Non, mais la-blonde-aux-reflets-roux fait déjà fantasmer mon sommier, je crois. » « T’es sérieux là ?! » Un clin d’œil. Je me levais, prenais mes affaires et quittait mes amis. L’un d’entre eux n’était pas présent ce jour-là et il était bien l’incarnation de la personne en qui j’avais le plus confiance, c’était et c’est toujours mon bro, mon pote, mon complice, ma doublure. Néanmoins, il était beaucoup moins tordu que moi et avait choisi un avenir certain, une vie droite plutôt que sinueuse comme la mienne. Ses parents avaient eux aussi un revenu très correct, mais ce qui nous différenciait le plus, c’était notre éducation. Ses parents s’étaient occupé de lui dès le début et avaient entretenu ses raisonnements, les miens avaient été livrés à eux-mêmes dès que maman-Alex avait décidé de laisser son chiot s’démerder tout seul dans la nature.

∬∮

« Alx, tu seras le pire des enfoirés si tu oses mettre à jour ton plan. » « Alors je suis un enfoiré. » Un clin d’œil, un sourire. Et je tournais le dos à Morgan. Nous étions au mois de novembre 2004 et comme avant, je n’avais rien à perdre et rien à gagner. Nous allions accueillir une fête de Noël dans notre lycée et chacun était dans la quasi nécessité de trouver un/une partenaire. Je n’avais envie de rien, je ne voulais même pas me pointer à cet évènement, mais je voulais tout de même faire bonne figure. Elle me faisait de l’œil depuis longtemps. Chaque fois qu’elle passait, qu’elle entrait dans mon champ de vision, je voyais son sourire. Sérieux. Espérant. Je lui renvoyais le mien. Faux. Pervers. Mais je la voulais. C’était elle et pas une autre. Je devais inviter blonde-écureuil. Ava Winters. Avant tout, je voulais traîner de la patte. Je voulais faire durer la situation aussi longtemps que possible. Je voulais rester le maître de la situation. Alors qu’elle était assise sur l’herbe devant le lycée avec ses amies, je voyais son regard à peine mon pied avait-il franchi la sortie. Je m’arrêtais, je la fixais de loin un moment et marchais jusqu’à elle. Inexplicablement, mon rythme cardiaque s’emporta. Hey, vieux, il t’arrive quoi là ? Pourquoi tu t’enjailles à ce point alors que cette fille est aussi lourde d’importance que la paire de vans qui traine sur la plage arrière de ta caisse depuis deux mois et demi ?! Je suis pourtant de plus en plus prêt et un sourire me creuse le coin des lèvres. Elle se leva. Je lui fis un signe de tête pour que nous nous éloignions de son groupe d’amies. Je mettais mes mains dans mes poches. Je n’avais jamais été aussi proche de son visage. Elle était un poil plus petite que moi. « Hey… Je vais te paraître idiot, mais je participe après demain à une compétition de natation inter-lycées et ça se passe ici. Si tu me fais l’honneur de venir, j’aurais peut-être l’envie de te demander autre chose en échange. » Je laissais tout sous-entendre, je savais qu’elle était futée même si je ne la connaissais pas, je ne me risquais même pas à lui demander si elle avait quelqu’un, je m’en fichais éperdument, je savais qu’elle était un peu du genre volage. Enfin, c’était ce que les bruits disaient. Je lui tendais le fly à l’occasion de la compet’ et lui adressais un nouveau sourire. De toutes les filles que j’avais essayé, elle était celle que je voulais le plus avoir pour moi tout seul, mais il était bien entendu hors de question qu’elle devienne une obsession.
Quelques jours plus tard, mon coach avait déjà les mains sur mes épaules et me rappelait sans cesse ce que je devais éviter pour arriver au plus vite à la victoire. J’acquiesçais chaque fois d’un hochement de tête lorsqu’il me disait « compris ?! » alors que j’écoutais à peine ce qu’il me répétait pour la énième fois. Je m’avançais jusqu’au bout du couloir et lorsque j’arrivais au bout, la foule applaudis à l’annonce de la voix off « Tyler-Alexander Scott du lycée de Scottsdale ! ». Pendant que d’autres concurrents se mettaient en place, je jetais un rapide coup d’œil aux gradins. Allons bon… Elle était curieuse à ce point.
Quelques heures plus tard, tout était terminé. Je m’étais qualifié presque avec regret. Les autres avaient beaucoup de niveau et j’étais arrivé en haut du podium de justesse. Je me disais que s’ils étaient aussi doués à cette compétition, qu’en serait-il à la suivante ? Je sortais des vestiaires et je m’allongeais de tout mon long sur un banc, un bras derrière la tête. Ce fut douloureux, la nage papillon m’avait tué. Des talons raisonnaient au loin. Le bruit se rapprochait et s’arrêta net au niveau de mes oreilles. J’ouvrais les yeux. Elle était là, au-dessus de moi à m’observer avec ce sourire dont j’avais toujours eu connaissance. « Salut. » Je le laissais s’asseoir à côté de moi et après avoir discuté quelques minutes de la compétition, j’en venais au fait. « Tu es venue par curiosité, n’est-ce pas ? » Je la regardais dans les yeux. « Tu as envie de savoir ce que j’entends par vouloir te demander quelque chose en échange ? » Il y avait des choses qui nous liaient malgré tout, elle et moi. Nous étions tous deux issus de familles aux revenus assez importants, nos parents étaient connus et par conséquent, il en était de même pour nous. Il n’était pas rare que des filles finissent dans le même lit que moi dans l’espoir d’être en compagnie du prince charmant et que celui-ci pourrait éventuellement les sauver du terrible célibat dont elles sont prisonnières. Rome ne s’est hélas pas construite en un jour et une relation longue durée ne se construit pas au lit. Mais ça, elles ne l’avaient pas toutes compris et d’après les rumeurs, il en était de même pour Ava et la gente masculine. D’après ce qu’on disait et tout ce qu’elle avait fait passer sur son matelas, elle paraissait timide, mais les apparences étaient bien trompeuses… Elle essayait autant que moi. Bien, son jeu m’intéressait beaucoup, je voulais aussi faire une partie…ou plusieurs. « Tu veux bien m’accompagner à la fête de Noël ? »


Le lycée est passé à une vitesse plutôt surprenante. Quant à eux, les problèmes ont bien décidé de débarquer et de se taper l’incruste jusqu’au bout. Tout avait pourtant si bien commencé à partir du fameux bal de Noël. J’avais promis à Ava Winters que j’allais la chercher chez elle, le soir-même. Comme à mon habitude, j’avais été légèrement en retard et je m’étais présenté avec un large sourire et quelques roses que j’avais achetés sur la route, j’avais presque oublié ce détail. Je n’avais jusqu’alors jamais enfilé de costard de mon plein gré. Ma mère, surprise de me voir en quête de ce fameux costume, m’avait finalement cueillit dans ma chambre, galérant avec un satané nœud papillon. « On peut savoir qui sera l’heureuse élue suspendue à ton bras toute cette soirée ? » Tiens, Camryn se souciait de mes futures partenaires de lit, maintenant ? « Vous voilà bien curieuse. Il s’agit de Ava-Layne Winters. » Ma mère s’arrêta comme si ma réponse l’avait poignardé. « Winters. Tu n’es pas sérieux ?! Tu as donc changé tes projets professionnels ?! Tu ne veux plus être nageur mais ingénieur ? » Son travail achevé –elle avait noué mon nœud papillon-, je me dirigeais vers la sortie. « Détrompes-toi, le chasseur tue le gibier, le vautour attends que sa proie décède d’elle-même avant de s’en délecter. » Je lui adressais un clin d’œil et quittais la maison en laissant méditer Camryn sur mes propres paroles.
Il devait bien faire quinze degrés à l’extérieur malgré la présence de la lune dans le ciel découvert. Je me suis donc présenté chez les Winters comme un élève modèle qui, ô grand Dieu jamais, n’oserait jouer avec l’une de leurs filles. Un homme m’ouvrit la porte, il semblait être l’un de leurs domestiques, il m’invita à entrer. Je me sentais archi con, je dois bien l’avouer. Tout seul. Au milieu de l’immense hall d’entrée au magnifique carrelage blanc. Et moi j’étais une tâche noire au milieu, quelques roses à la main. Des bruits de pas à l’étage m’alertèrent et je ne pus m’empêcher de cligner plusieurs fois des yeux, vérifiant si je ne voyais pas flou. D’ailleurs, mon cœur loupa un battement. Il fallait de nouveau l’avouer, Ava avait tout pour elle. C’était bien la raison pour laquelle je la voulais pour moi seul. Nous prenions alors la route du lycée et une fois là-bas, je ne dirais pas que tous les regards étaient braqués sur nous, mais une bonne partie en tous cas ! Je revoyais une partie de mes proies, soit sidérées, soit outrées et lorsque je regardais du côté d’Ava, je voyais qu’il en était un peu de même, mais avec les mâles. J’eus un petit rire, attirant l’attention de blonde-écureuil « Non, rien. T’inquiète. Le regard des gens me fait sourire. » Stop Alx ! N’en dit pas davantage ou tu vas te piéger tout seul ! Ce bal avait été un bon souvenir, je ne peux le nier. La soirée m’avait coulé entre les doigts, je m’étais fort bien amusé. Tout avait été géré par un collectif de dernière année et ces derniers avaient introduit en toute discrétion un peu d’alcool. J’avais un bon coup de chauffe, j’avais donc décidé de m’asseoir à l’extérieur. C’est à ce moment que tout alla de l’avant. Ava m’avait rejoint et pendant quelques minutes, je m’étais demandé où se trouvait la caméra. J’avais l’impression de jouer dans un film. Et en plus de cela, j’avais un tout petit peu envie de foutre le bordel sous le regard de certains jeunes hommes mangeurs de concurrence. J’attirais Ava vers moi, la forçant à mettre sa tête sur mon épaule. Ma première tentative de rapprochement avait fonctionné. La suivante eut lieu au moment où je la raccompagnais chez elle. Jusqu’à sa porte. Pour qu’au final, elle me laisse rentrer. Dans l’obscurité, un sourire en coin se dessina sur mon visage. Après un bon mois à voler au-dessus de Bambi, j’allais enfin pouvoir partir en piqué. Dans sa chambre, elle referma la porte derrière elle. Nous nous sommes longuement regardé, jusqu’à ce que je décide d’avancer doucement vers elle. Elle était tellement mieux que toutes celles d’avant, ses gestes étaient parfaits. Je me sentais tellement content d’avoir réussi à l’avoir pour moi ce soir-là. Ses mains dans mes cheveux, les courbes de son petit corps, ses lèvres pulpeuses, tout était à moi. Et je crois que nous étions deux à nous en donner à cœur joie. Je quittais son lit un peu avant l’aube histoire que personne ne me surprenne chez elle. Au lycée, et après quelques messages textes, nous nous sommes décidé à reparler de notre aventure et nous nous sommes mis d’accord pour nous mettre ensemble. Curieuse histoire me direz-vous, mais cette histoire a bien duré trois années.
À la fin du lycée, plus rien ne fonctionnait. L’entreprise de ma mère menaçait de la mettre à la porte et la crise avait emporté les plus gros investissements de mon paternel et de son musée. La tension familiale n’avait fait que grimper depuis, je me retrouvais donc à la porte de mon propre appartement puisque mon père avait soudainement décidé que je ne pouvais plus creuser dans ses économies. Le climat était devenu tellement pesant au début de ma dernière année de lycéen que j’avais choisi de m’éloigner au maximum de mes parents. Mon père ne pouvait plus me voir en peinture, ça tombait très bien, moi non plus. Cela n’a pas déteint sur mes aptitudes scolaires puisque mon diplôme de fin d’année fût empoché avec succès et c’est à ce moment qu’Ava et moi se décidaient à rompre devant toute l’assemblée lycéenne. Elle, me traitant de tous les noms d’oiseaux et d’étalon en constante chaleur et moi, l’insultant de fille de joie à la bouche bien… Bref. Nous nous sommes quittés en engueulades publiques, c’est uniquement ce que vous voulez savoir.



« Il faut qu’on parle. »
Sept ans plus tard. Ava Winters était à ma porte. Je lui avais ouvert comme j’ouvrais à mon meilleur ami, short, torse nu… ouais, le mode « pardonnez, je sors de la douche ». Je la considérais pendant plusieurs secondes. Je n’avais rien à lui dire. Et puis putain ! Pourtant, cette saloperie de cœur avait encore une fois loupé un battement au moment où j’aperçus cette fille sur mon paillasson. Je n’ai jamais compris pourquoi elle me faisait tant d’effet, même si j’aimais tellement me la taper. Tiens, en parlant de ça. C’était arrivé quelques mois auparavant. J’ai beau vous annoncer que ça faisait sept ans, je dois avoir un syndrome d’homme-banquier pour mentir ainsi. Non, Ava et moi nous sommes retrouvés à une soirée entre vieux amis d’école. Je savais qu’elle m’évitait et j’en faisais de même, mais je ne pouvais pas m’empêcher de la regarder, d’avoir encore envie d’elle. Elle était plus qu’une drogue dans sa façon d’être et de faire les choses (je vous ordonne de ranger votre esprit mal placé). Finalement, nous nous sommes rapprochés et nous avons arrosé la soirée et nous avons aussi terminé dans le même lit. Le mien, ce coup-ci. Son corps m’avait énormément manqué. « Je croyais qu’on s’était entendus toi et moi… Tu ne peux pas débarquer comme ça, Ava. » « Je suis enceinte. » Allez ! Prends-toi une claque, Alx, tu l’as bien mérité ! Peut-être qu’avec elle tu te sens libre et en confiance, mais avoir un môme à vingt-quatre ans alors que dans ta tête tu ne sais même pas qui tu es… Va falloir assumer, mon gros !
Je lui avais donc demandé d’entrer et j’avais essayé de la raisonner pour qu’elle se décide à avorter. Elle ne voulait pas et elle en était déjà à trois mois. À l’intérieur de moi, une bête s’agitait. Quelque chose me donnait l’impression que j’allais devenir fou. Je me levais alors, vers un meuble où plusieurs bouteilles attendaient patiemment de servir à quelque chose. Je ne lui demandais même pas ce qu’elle voulait boire, je me servais un verre de whisky et l’observais de là où je décidais finalement de rester. « Ava. En trois ans de couple, tu as vu comment j’étais. Et je le suis encore. Un gamin paumé incapable de comprendre les travers de la vie. » Je baissais les yeux. Cette réalité était bien la première qui se frayait un passage à travers le grillage que je m’étais construit. Un rideau de fer séparant le monde réel de mon petit monde merveilleux où tout est facile…
Jusque-là, j’avais réussi à m’en tirer sans trop faire d’erreur. En y réfléchissant bien, j’étais né maudit par mes parents. Mon père ne m’avait jamais regardé en face plus de dix secondes, ma mère ne s’était jamais souciée de moi au-delà de mon taux d’alcoolémie lorsque je rentrais à la maison bourré comme un paysan Français. Je m’étais renfermé dans la philosophie de Don Giovanni, dans le deux cent mètres nage libre et dans les matières que je détestais le plus pour m’en tirer le plus vite possible. Aujourd’hui j’étais sauveteur plongeur, pratique à Scottsdale ! Enfin, cela me permettait de faire des rondes entre les quatre ou cinq lacs de l’Arizona lorsque j’avais besoin d’arrondir mes fins de mois et j’étais aussi étudiant à l’université de Phoenix en parapsychologie, ce qui faisait encore de moi un grand enfant curieux qui se fichait bien de faire n’importe quoi de ses dix doigts. D’ailleurs, tous mes potes se moquaient bien de moi.
Je devais arrêter de jouer. La partie était terminée et Ava avait gagné…sans trop le désirer non plus.