« Athénaïs, t’es oùùùùùùùù ? » cria la jeune Orphée à l’attention de sa sœur jumelle. Elles n’avaient que huit ans, mais déjà, Athénaïs prenait plaisir à faire tourner sa sœur en bourrique. Si l’on pouvait penser que ces deux petites blondes, à la ressemblance parfaite, s’entendaient à merveille, c’était complètement l’inverse. Du moins, à cet âge là, on ne pouvait pas vraiment juger de leur relation, il était sure que plus tard, elles auraient du mal à se comprendre. Elles étaient si identiques et pourtant si différentes à la fois. S’en était presque incroyable. Athénaïs était la forte tête du duo, tandis qu’Orphée était plutôt la suiveuse. Elle n’avait jamais eu un caractère de leader. Pourquoi ? Il n’y avait pas de raison apparente. Athénaïs était sortie la deuxième du ventre de sa mère, et comme toute aînée de famille, elle faisait sa loi à la maison. Elle en devenait presque insupportable.
« Or, qu’est-ce qu’il t’arrive ? » avait demandé Maxence à sa sœur, âgée que d’un an de plus que lui. Or, c’était le surnom d’Orphée, évidemment. Mais pour lui, sa sœur était un véritable trésor. Et pour elle, Max représentait ses deux yeux. Il ne fallait pas le toucher où alors vous aviez affaire à elle – et à Timéo, le jumeau de Max. Si la belle n’était pas du genre bagarreuse, lorsqu’il s’agissait de son frère, elle pouvait sortir les poings facilement.
« Athénaïs s’est encore cachée ! Je ne sais pas où elle est, et il est l’heure d’aller dormir. Je suis sure qu’elle va me faire peur, comme la dernière fois » On aurait pu croire qu’Orphée était le genre de petite fille à se plaindre constamment, mais pas du tout. C’était juste Athénaïs qui réussissait toujours à la mettre hors d’elle. Max la regarda, pas du tout étonné. Il connaissait parfaitement ses deux grandes sœurs et avait aussi du mal à comprendre les agissements de la plus grande.
« Athé, sors de ta cachette ! » « Ahh, mais laissez-la s’amuser ! » avait rétorqué la mère des Andersen. De toute façon, elle était toujours du côté de son aînée. Comme si les autres n’existaient pas. Orphée avait soupiré, décidément, contre l’autorité parentale, elle ne pouvait rien faire. Athé avait gagné, encore une fois.
« Viens dormir avec moi » avait alors proposé Max à la blonde, en lui tendant la main. Il était si gentil avec elle. Elle ne se fit pas prier et le suivit jusqu’à sa chambre, où Timéo était déjà.
« Qu’est-ce que tu fais là ? » demanda t’il à Orphée. C’est Max qui prit la parole à nouveau :
« Elle dort avec nous, Athé fait encore sa maligne » avait-il rapporté à son frère jumeau.
« Ok » avait-il simplement répondu Timéo ce soir là. Après tout, Orphée était la gentille sœur non ?
« Orphée, il est où ton père ? » Sunshine, la meilleure amie d’Orphée depuis l’école primaire. Ici, à Scottsdale, tout le monde connaissait plus ou moins les Andersen. A l’école, ils étaient surnommés les doubles. Bien oui, deux paires de jumeaux et rien d’autre, faut avouer que ça intriguait pas mal les gens. Timéo et Max, eux, ils restaient tout le temps ensemble, ou presque. Max avait aussi son meilleur ami Jaaziel mais il n’en oubliait pas son jumeau pour autant. Seule Athénaïs semblait loin d’eux, comme toujours, me direz-vous.
« C’est compliqué. Il nous a abandonné mes frères, ma sœur et moi. Il n’y a rien d’autre à savoir sur lui » avait répondu la blonde, un peu triste sur le coup. Elle était certainement la plus sensible du quatuor des Andersen et l’absence de son père la pesait parfois. Elle n’en parlait pas, sachant pertinemment ce que pensaient les autres de tout ça. Pour eux, il n’était qu’un lâche, égoïste et méchant. Ils avaient raison, pourtant, c’était son père. Elle avait souvent pensé au jour où elle serait majeure, au jour où elle aurait le droit – si elle le voulait – de le retrouver, de reprendre contact avec lui. Si ses frères, ou bien sa jumelle, avait le moindre doute sur ses intentions, elle les perdrait certainement. Alors elle avait décidé que non. Plus jamais cet homme n’entrerait dans sa vie. Plus jamais il ne l’atteindrait comme il avait pu le faire lorsqu’elle était gamine.
« Comme tu veux… Te retournes pas, il y a un gars plutôt canon qui te regarde là-bas » avait ajouté Sunshine. Celle-là, elle était irrécupérable ! Vraiment ! Elle était le genre de fille super à l’aise avec les mecs alors qu’Orphée… elle était tout l’inverse. Sur ce point, Sunshine et Athénaïs auraient pu réellement s’entendre !
« Et pourquoi je me retournerais… » avait-elle ajouté en soupirant. Les garçons, elle les attirait avec son joli minois, ses beaux cheveux blonds et son style particulier, pourtant, ça ne l’intéressait pas. Orphée préférait penser études et travail avant, ce n’était pas un problème si ? Puis la danse, et le chant, mais pas les garçons. Pas les filles non plus, si c’est ce à quoi vous pensez. Non, elle aimait les garçons – même si elle n’était jamais tombé amoureuse proprement dit – et avait déjà eu quelques histoires, par ci par là. Rien de bien sérieux.
« Parce qu’il est canon ! » avait ré-enchéri Sunshine, telle une évidence. Orphée avait éclaté de rire avant de prendre sa meilleure amie par le bras, direction leur prochain cours.
Ce garçon là, il l’avait marqué. C’était un danseur, comme elle. Du moins, comme elle, avant. Elle avait dix huit ans, il en avait trois ou quatre de plus. A ce moment là déjà, Orphée ne dansait plus. C’était lors d’une compétition, enfin lors d’un gala, quand elle avait une douzaine d’années que tout avait basculé. Elle se rappelait de ce jour comme si c’était hier. Elle avait demandé à ses petits frères de venir la voir, eux, tous fiers, ils la supportaient, criaient son nom et tapaient dans leur main pour encourager leur sœur adorée. Athénaïs, il avait promit de venir – pour une fois. Et sa mère… elle s’en fichait. Elle se fichait d’Orphée, de Max ou de Tim. La seule qui l’intéressait, c’était Athénaïs. Athénaïs, son bijou, la seule qui comptait pour elle. Orphée ne comprenait pas vraiment pourquoi. Athé était parfaite pour la mère des Andersen. Pourquoi elle et pas un autre de ses enfants ? Ils n’en savaient rien. Souvent, Orphée s’était sentie comme la fille non-désirée et se demandait pourquoi elle avait remis le couvert avec le père pour avoir d’autres enfants, si la seule qu’elle pouvait aimer, c’était Athénaïs. Orphée, seule, aurait pu supporter tout ça, mais là, Max et Timéo en faisaient les frais aussi. Elle détestait ça. N’empêche qu’elle n’avait pas bougé d’un poil ce soir là, le soir de la représentation. Orphée était tellement heureuse d’être sur scène, de montrer ce qu’elle savait faire. Et des pas, des figures, elle en connaissait ! Certainement l’une des meilleures élèves de sa classe. Pour une fois, c’était elle la meilleure, pas Athénaïs. C’était plaisant. Mais ça n’avait pas duré. Il avait suffit d’un peu trop de pression, d’un échauffement pas assez poussé pour qu’elle tombe durant l’une de ses importantes figures, se retrouvant au sol, en pleurant. Elle pleurait parce qu’elle avait mal mais aussi parce qu’elle savait que c’était la fin. La fin d’une époque. Elle n’allait plus danser avant longtemps. C’était la raison pour laquelle lui, elle le regardait. Elle le regardait danser tel un cygne. Il était beau. Il était grand. Il était doué. Il était parfait quoi. Non, il n’était pas gay. On aurait pu croire pourtant, après tout, un mec qui fait de la danse ET qui n’est pas homo, c’est plutôt rare non ?
« Tu veux danser ? » m’avait-il demandé avec sa jolie petite voix. Bon ok, elle n’était pas si jolie que ça, mais elle était tellement obsédée par lui.
« Arrête de baver Orphée » avait lancé Athénaïs dans son dos. Elle lui lança un regard haineux, qui voulait dire
« Te mêles de pas ça » ou encore
« Je te déteste » et elle avait répondu à Tom. Oui, Tom, c’était son prénom.
« Je préfère te regarder, tu es très… doué » avait-elle réussie à dire, elle pourtant si timide d’habitude. Il n’avait pas insisté, lui décrochant juste un sourire de tombeur. Elle était revenue, une fois, deux fois, trois fois. Presque tous les jours. Le voir danser pour elle, était magique. Comme si elle se voyait à travers lui. C’était une drôle de sensation. Et ce qui devait arriver arriva, elle en tomba amoureuse. Raide dingue amoureuse. Cela semblait réciproque, surtout les premiers mois. Son premier amour, sa première fois, avec lui, c’était spécial. Quand elle était avec lui, elle ne voyait plus rien d’autre. Le monde aurait pu s’arrêter de tourner qu’elle ne s’en serait pas rendu compte. Des mois, presqu’une année qu’ils étaient ensemble. Tout le monde l’adorait, le trouvait gentil, amusant, attentionné. Sauf sa jumelle bien sur, mais Athé… c’est Athé. Puis il la quitta. Sans aucune raison valable. Il avait soi-disant arrêté de l’aimer. Est-ce que c’était possible ça ? Apparemment oui. Il lui brisa le cœur, en mille morceaux, laissant une Orphée morfonde. Elle ne voyait que par lui, ne vivait que pour lui, et ça s’était terminé. La fin du monde aurait été moins terrible pour elle. Elle ne retourna pas au studio de danse. Tout ça aussi, c’était terminé. Si elle avait cru pouvoir un jour réenfiler ses chaussons, ce rêve là s’était effondré avec tout le reste. Les autres ? Ils étaient là pour elle. Notamment Max, Timeo et Sunshine. Athé ? Bien elle était là aussi. Il semblait que voir sa sœur malheureuse l’avait touché un peu. La mère ? Elle n’avait prononcé qu’une phrase, une seule phrase :
« Je te l’avais dis que tu n’étais pas assez bien pour lui » « Orphée, où est-ce que tu vas ? » demanda Max à sa grande sœur – d’un an son aînée seulement – qui s’apprêtait à aller retrouver Jaaziel, son petit-ami. Oui oui, son petit-ami et aussi le meilleur ami de son frère. Evidemment, Max n’en savait rien. Et c’était mieux ainsi, pour le moment. Orphée savait à quel point son frère pouvait être jaloux et possessif envers Jaaz. Et aussi envers Orphée d’ailleurs. Alors les savoir ensemble n’allait certainement pas lui plaire.
« Je vais chez Sun, on doit réviser » avait-elle lancée un sourire jusqu’aux oreilles. Max la regarda, un peu étonnée.
« Et bien, vu le sourire que tu me lances, les cours doivent être passionnants… » En effet, elle semblait bien heureuse d’aller réviser – retrouver Jaaz.
« Et puis, c’est quoi cette tenue ? » avait-il rajouté à l’attention de sa sœur. Orphée se regarda de la tête aux pieds. Elle portait une robe, simplement, quelques accessoires, rien de plus. Elle s’était habillée comme tous les jours. Bon ok, peut-être un peu mieux, et elle s’était soignée, maquillée.
« Qu’est-ce qu’ils ont mes vêtements ? » demanda t’elle, étonnée. Max soupira alors :
« Non rien… » Elle n’aimait pas le voir comme ça, mais ne comprenait pas vraiment.
« Si, dis-moi ! » Orphée gardait le sourire, pensant au moment qu’elle allait passer avec Jaaz – quand Max la laissera partir.
« Je sais pas, t’es différente ces temps-ci, mais ce n’est rien, vas-y, fonce retrouver Sunshine, elle va t’attendre » avait-il ajouté. Différente ? Oui, en quelque sorte. Elle était amoureuse quoi, donc forcément, elle semblait plus joyeuse.
« Tu te fais des idées Max ! » dit-elle avant de le prendre dans ses bras comme elle le faisait parfois et en le laissant.
« J’espère.. » dit-il simplement. Qu’est-ce qu’il lui arrivait ? Tous les deux étaient très proches, peut-être avait-il simplement peur de perdre sa sœur ?
« Je t’aime Max » répondit-elle, comme pour le rassurer. Il esquissa un sourire et la laissa partir, sans rien dire. Il l’aimait aussi. Beaucoup. Et il se posait des questions sur elle.
« Alors, t’as réussi à t’échapper ? » demanda Jaaz’ à sa belle lorsqu’il lui ouvrit la porte de sa demeure. Quand elle allait chez les Hierra, ils étaient tranquilles. Enfin, plus ou moins. Il avait ses sœurs aussi qui devaient guetter, à moins qu’elles ne sachent et qu’elles ne disent rien. Elle s’approcha de lui et lui vola un baiser en guise de bonjour. Il la serra contre lui tandis qu’elle profitait au maximum de ses bras, de sa présence.
« Avec du mal ! Max se pose des questions, il doit savoir que j’ai quelqu’un.. » dit-elle alors qu’il l’emmenait dans le salon avec elle. Cette histoire durait depuis quelques temps maintenant, et se cacher comme ça, ce n’était pas toujours facile. Cela rendait leur relation plus intense certes, mais il était difficile d’avoir des moments à eux. Du moins quand Jaaz’ venait chez les Andersen. Ils réussissaient toujours à s’éclipser quelques instants. C’était un peu risqué d’ailleurs, mais elle aimait ça. Elle n’avait pas eu grandes histoires avant Jaaz, et encore moins une histoire secrète. Jaaz lui avait eu des tonnes de filles, et elle le savait. Ce qui lui faisait peur parfois. Non pas qu’il la trompe non, mais qu’il se lasse d’elle, comme il s’était lassé des autres.
« Mais pas que c’est moi ! » dit-il en souriant, fier. Lui aussi, ça devait le peser de cacher ça à Max, mais ils savaient tous les deux que c’était le mieux à faire pour l’instant. Orphée était sure que Max refuserait qu’elle voit Jaaz’. Et puis pour lui, imaginer sa sœur et son meilleur ami ensemble… Pourtant, elle était bien avec Jaaz’, c’était certainement pour cela qu’elle avait acceptée de rester cacher.
« Non, pas que c’est toi. Il doit penser que c’est un mec de la fac, grand, beau et fort… » commença t’elle avec un petit sourire taquin. Elle leva les yeux vers Jaaz’, confortablement installée dans ses bras sur le canapé alors qu’il lui répondit :
« Grand, beau et fort ? Il n’aurait pas tord ! » Puis il se mit à chatouiller la belle tandis qu’elle riait aux éclats. Encore une après-midi de passé avec lui, rien qu’avec lui, dans le dos de tout le monde. Le bonheur, simplement. Pour encore combien de temps ? Elle n’en savait rien, mais pour l’instant, elle n’avait pas envie d’y penser.